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Thilda, Jeanne
(Mathilde Stevens née Kindt, dite)


Mathilde Stevens (Jeanne Thilda)
(Photographie tirée de l'ouvrage de Mme Claude Arthaud : " 500 ANS D'ART CONTEMPORAIN DU XV° AU XX° LES STEVENS - STOCLET - MALLET-STEVENS - HEBERT-STEVENS - ARTHAUD "
cf http://www.stevens-arthaud.com/Portraits_Fr.htm
Reproduction avec l'aimable autorisation de Mme Claude Arthaud
© Claude Arthaud

---------Mathilde Stevens, née Kindt, fut une des figures emblématiques du Second Empire et de la Belle Époque. L'épisode sanglant de la Commune n'a pas éclipsé le prestige de cette " grande femme à la fois grasse et mince, mais dont la carnation rappelle un peu les figures de Rubens dans ses toiles modérées ; elle a les yeux bruns, les cheveux artificiellement dorés en faune, la bouche rieuse […] et de l'esprit à revendre ; c'est une personne littéralement étourdissante ; aussi est elle entourée avec enthousiasme, partout où elle va" (1) .

---Si elle a laissé une abondante production littéraire, sa bibliographie critique est en revanche fort mince et les documents biographiques très rares. Née à Bruxelles en 1833, Mathilde grandit dans un milieu aisé et cultivé : son père est sénateur bruxellois. Elle épouse en 1856 le critique et marchand d'art Arthur Stevens, le frère des peintres Joseph et Alfred Stevens. Ils divorceront en 1863 ou 1870, selon les sources. L'année de leur mariage le couple s'installe à Paris. Les souvenirs d'Armand Silvestre nous apprennent que " le blanc est sa couleur préférée. […] Elle est passionnée de Gounod en musique et de Delacroix en peinture. Victor Hugo et Banville sont ses poètes, Gustave Flaubert son prosateur. Son parfum favori est le Ylang-Ylang " (2) . Gérôme et Clésinger ont fait son portrait. Alors que son époux devient le marchand des peintres de Barbizon et soutient Millet, Corot, Daubigny, Whistler et Courbet, Mathilde tient un des salons les plus courus de Paris. S'y réunissent Baudelaire, un ami du couple et dont Alfred Stevens favorisera la venue à Bruxelles, Flaubert, Gautier, Renan, Tourgueniev, Verlaine, Offenbach, Rimski-Korsakov. Si elle séduit Barbey d'Aurevilly, Gambetta, elle inspire à Maupassant Mme Forestier, figure féminine majeure de Bel Ami (1885). Elle est la séductrice, l'égérie des hommes politiques, la femme de tête, capable de faire et de défaire l'avenir d'un jeune loup.


---Mathilde Stevens ne se contente pas de jouer les égéries et les salonnières, elle se lance également dans une carrière littéraire. Elle débute en 1858 avec Le Roman du Presbytère, sous le pseudonyme Mathilde Hamelinck. Sa parution en feuilleton dans un quotidien bruxellois est rapidement interrompue : certains passages étaient susceptibles de choquer les lecteurs. L'année suivante, elle donne ses Impressions d'une femme au Salon de 1859 en feuilleton dans Le Monte Cristo, journal d'Alexandre Dumas père, un habitué de ses réceptions. Pourquoi choisir la critique d'art devenue depuis Diderot, un genre à part entière ? Sans doute a-t-elle calqué sa démarche sur celle de Baudelaire qui fit une entrée remarquée en littérature grâce à la publication de ses Salons de 1845 et 1846 dans La Revue de Paris. L'auteur des Fleurs du Mal dut certainement aider Mathilde Stevens car c'est son salon de 1846 que l'on retrouve dans les Impressions d'une femme au Salon de 1859. Ses écrits piquent la curiosité du public et Mathilde Stevens voit son ouvrage réédité une vingtaine de fois. Définitivement lancée, la jeune femme débuta " sérieusement comme journaliste à La France sous le règne de Girardin, mais là, elle écrivait des choses anodines ; une fois au Gil Blas, elle a pu se livrer à sa verve étonnante et on s'arrache le journal le jour où ses articles, très pimentés et très littéraires y paraissent " (3) . Signant Jeanne Thilda, elle donna jusqu'à la fin de sa vie une chronique hebdomadaire à ce journal républicain conservateur. Elle puise le sujet de ses chroniques dans les sphères artistiques parisiennes où elle évolue, défendant des auteurs comme Maupassant, Barbey d'Aurevilly ou encore George Sand, ou au contraire fustigeant les hommes politiques les plus en vue, les peintres comme Gérôme qui se vengea en provoquant en duel Arthur Stevens. En 1882, elle signe également dans Le Passant, revue de Camille Delaville, quelques articles.


---Si elle demeure célèbre pour ses chroniques dont on compara le style et l'esprit à ceux de Delphine de Girardin, elle a publié quelques œuvres romanesques comme L'amant de carton (1863), signé STEV, Madame Sosie (1867), Pour se damner (1883), Péchés Capiteux (1884). Après son retentissant divorce dans les années 1860, elle fait paraître Le oui et le non des femmes, une réflexion sur le divorce qui sera rééditée vingt ans plus tard. Elle commet également un recueil de poésies Les Frous-frous (1879) où " à la délicatesse des pensées, à la justesse de l'image, elle joint ce sentiment du rythme et cette intuition des sonorités sans lesquels on ne fait pas de vers méritant ce nom " (4). On lui doit également la création du Dîner des bas-bleus, une réunion mensuelle qui rassemblait dans un restaurant parisien hommes et femmes de lettres. Rendant hommage à son amie Mathilde Stevens, décédée en 1886 suite à une longue maladie, Camille Delaville écrivait qu'elle " avait un talent tout spécial : c'était à la fois celui d'un fin lettré du XVIIIe et celui d'une parisienne quintessenciée de notre époque outrancière ", elle possédait " un style d'étrange exquisité, doué d'une bizarre saveur, c'était son secret que jusqu'ici aucun écrivain féminin n'a trouvé, même les authoresses qui ont plus de talent qu'elle " (5)
.

1) Camille Delaville, " Courrier de Paris " in Les Matinées Espagnoles, juin 1883, p. 697.

2) Silvestre Armand, Au pays des souvenirs : mes maîtres et mes maîtresses, p. 129.

3) Camille Delaville, " Courrier de Paris " in Les Matinées Espagnoles, juin 1883, p. 697.

4) Ibid., p. 131.

5) Camille Delaville, " Courrier de Paris ", in Les Matinées Espagnoles, respectivement 30 mai & 8 juin 1886, p. 406.

Nelly Sanchez

Oeuvres

  • Impressions d'une femme au salon de 1859 : Paris : A. Bourdilliat, 1859 : cote V- 24658 (BIS)
  • Le Oui et le non des femmes : Paris : Michel-Lévy frères, 1862 : cote Y2- 69924
  • L'Amant de carton : Paris : E. Dentu, 1863 : cote SP97/959
  • Madame Sosie : Paris : librairie du Petit journal, 1867 : cote Y2- 69923
  • Les Froufrous : Paris : A. Lemerre, 1879 : cote YE- 33890
  • Pour se damner : Paris : E. Rouveyre et G. Blond, 1883 : cote MFICHE 8- Y2- 5151 (11)
  • Péchés capiteux… : Paris : C. Marpon et E. Flammarion, 1884 : cote MFICHE 8- Y2- 7381