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Clément Privé
1842 - 1883


Clément Privé, Almanach de l'Yonne 1884,
Bibliothèque municipale d'Auxerre, reproduction Benoît Petitcollot.

--------Clément Privé, né le 15 mai 1842, est le premier fils de Marien Privé, instituteur à Fontaines (Yonne) et de Julie Muzard son épouse. Le 26 mai 1851 naitra son frère cadet Fernand-Anatole.
Clément Privé, tout comme Félix Arvers un peu plus tôt dans un tout autre genre, acquit une certaine gloire de 1873 à sa mort en 1883 par la grâce d'un seul sonnet, si connu du monde lettré, a écrit Marc de Montifaud " que chacun le récite mentalement, depuis Victor Hugo jusqu'au dernier bohême "(1) :

Parce que de la viande était à point rôtie,
Parce que le journal détaillait un viol,
Parce que sur sa gorge ignoble et mal bâtie
La servante oublia de boutonner son col,

Parce que d'un lit, grand comme une sacristie,
Il voit, sur la pendule, un couple antique et fol,
Ou qu'il n'a pas sommeil, et que, sans modestie,
Sa jambe sous le drap frôle une jambe au vol,

Un niais met sous lui sa femme froide et sèche,
Contre ce bonnet blanc frotte son casque-à-mèche
Et travaille en soufflant inexorablement :

Et de ce qu'une nuit, sans rage et sans tempête,
Ces deux êtres se sont accouplés en dormant,
O Shakespeare et toi, Dante, il peut naître un poëte !

Or, il advint que le professeur Henri Mondor, lorsqu'avec l'aide de Georges Jean-Aubry entreprit en 1945 l'édition des Œuvres Complètes de Mallarmé pour la bibliothèque de La Pléiade, il y introduisit ce sonnet sur la foi d'un manuscrit retrouvé et authentique du maître. Ce sonnet " réaliste " figure toujours aujourd'hui dans les rééditions successives de Mallarmé, malgré la réfutation très sérieuse qu'en fit Pascal Pia en 1966 (2).
Clément Privé et son fameux sonnet sont pourtant cités de son vivant ou peu après sa mort, non seulement par Marc de Montifaud, mais aussi entre autres par Félix Fénéon (3), ou encore Fernand Xau (4).
En fait, la méprise du professeur Mondor, semble tenir essentiellement au fait que Clément Privé fut l'ami intime dès l'adolescence d'un très proche compagnon de jeunesse de Mallarmé, Eugène Lefébure (5)en compagnie duquel Clément Privé avait composé à quatre mains un recueil manuscrit intitulé Sonnets Auxerrois que le professeur avait pu lire. Elle est d'autant moins compréhensible que Mondor consacra tout un livre à Eugène Léfébure , qui contient d'ailleurs bon nombres de renseignements précieux sur les débuts " littéraires " très précoces de Privé dans l'Yonne.
Tout au long de l'année 1865, sous le pseudonyme de Pierre Gringoire, Privé collabore assidûment au Propagateur de l'Yonne, fondé par l'avocat auxerrois Charles Lepère, futur ministre de l'Intérieur.
Il intègre à 17 ans l'administration des Ponts et Chaussées comme agent voyer, écrit des saynètes et des vaudevilles badins pour le théâtre municipal. Le Bulletin des Sciences Historiques de l'Yonne publie en 1868 sa Cantate au Maréchal Davout. Un an plus tard, Privé écrit très vraisemblablement la brochure électorale en vers Chansons du scrutin de 1869, signée Pierre Gringoire et publiée à Dijon pour soutenir les candidats républicains lors des dernières élections législatives du Second Empire.
La guerre de 1870 surprend Privé alors qu'il est en poste à Saint-Junien dans la Haute-Vienne. Il s'engage aussitôt comme volontaire contre les Prussiens après avoir siégé comme secrétaire à la commission extraordinaire municipale instituée par la toute nouvelle 3ème République. Incorporé au 85ème Régiment de marche, il finit la guerre avec le grade de sergent-major.
On le retrouve ensuite à Paris où il vit assez misérablement de sa collaboration à divers journaux républicains : Le Corsaire, où il se lie d'amitié avec Onésime Monprofit, Tony Révillon et Léon Cladel ; L'Avenir National, organe dans lequel il occupe le poste de gérant, ce qui lui vaut un procès en 1873 pour un article hostile au Comte de Chambord ; La Lune Rousse d'André Gill, ou encore La Rue, pour laquelle Jules Vallès fait appel à lui (6) .
Clément Privé est également très présent dans les cercles littéraires, comme celui du Procope, ou encore la joyeuse confrérie du Bon-Bock dont il est l'un des fondateurs avec le graveur Emile Bellot qui avait servi de modèle à Manet pour la toile du même nom. Dans les trois albums lithographiés de cette société, on peut lire plusieurs poèmes écrits et parfois illustrés de sa main.
Après avoir été en 1881 l'un fondateurs de l'Association des Journalistes républicains (ancêtre du premier syndicat de journalistes), Clément Privé participe en 1882 à la création du Chat-Noir hebdomadaire, comme secrétaire de rédaction. Il y signe également les articles de tête sous le pseudonyme de Jacques Lehardy en compagnie d'Emile Goudeau.
Souffrant depuis plusieurs années de phtisie, il meurt le 14 mai 1883 à la clinique du Docteur Dubois où il avait été admis deux semaines auparavant.
Au cours de l'hiver 1882, Clément Privé était allé se reposer chez son vieil ami Amand Fauré, personnage extravagant et frère aîné du compositeur (7), qui avait obtenu par son entregent - et probablement l'amitié de Lepère - un poste de sous-préfet de l'Ardèche. C'est dans cette retraite de Tournon-sur-Rhône que Privé composa son recueil de nouvelles qui ne sera publié que deux ans après sa mort par les soins d'Onésime Montprofit (8). Il en rapportera aussi ce mot cruel, à la tonalité une dernière fois mallarméenne : " Département de la Dèche, chef-lieu Privé. (9) "


1) Marc de Montifaud, Les Romantiques (Paris, 1878 ; p. 253).
2) Pascal Pia, Un sonnet contesté de Mallarmé, La Quinzaine Littéraire, 1er avril 1966.
3) Félix Fénéon, Exposition nationale des Beaux - Arts, paru dans La Libre Revue, 16 octobre 1883. Fénéon dit :
" Ô ces sculpteurs de jolies choses, mignardes, gentillettes et léchées ! O la queue de Canova ! Et encore Canova faisait poser devant lui la princesse Pauline Borghèse ; mais sur quelle chair vivante copient-ils, eux, ces sujets de pendule, idoines tout au plus à exciter la lubricité de vieillards libidineux, comme l'a bien expliqué Clément Privé en un sonnet d'une magistrale impudeur ? "
4)
Fernand Xau : " Carnet d'un reporter ", l'Echo de Paris, 4 janvier 1889 et " Clément Privé ", Gil Blas, 16 mai 1883.
5)Henri Mondor, Eugène Lefébure, Gallimard, 1951.
6)Gérard Delfau, Jules Vallès, l'exil à Londres, Bordas, 1971.
7)Jean-Michel Nectoux, Gabriel Fauré, Le Seuil, 1972.
8)Clément Privé, Nouvelles, Boulanger, Paris, 1885.
9)Charles Gérard, Notes de la semaine, Beaumarchais, n° 137, 20 mai 1883.

Publications

Clément Privé, Nouvelles, préface d'Onésime Monprofit, Boulanger, Paris, 1885
Jean-Pierre Renau, Clément Privé, chants de bohême en Haute-Puisaye, L'Harmatan, 2009
Clément Privé, Poèmes et Nouvelles, préface de Jean José Marchand, présentation et notes par Hocine Bouakkaz, aux Baillis en Puisaye, 2009

Les poèmes et textes de Clément Privé ont été retrouvés dans :
-Le Propagateur de l'Yonne, 26 décembre 1864 - 1er janvier 1866
-Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne, 1868
-Chansons du scrutin de 1869, signées Pierre Gringoire (Bibliothèque Municipale de Dijon)
-Albums du Bon Bock, trois albums photo lithographiés (1876, 1878, 1884), édités par Emile Bellot et Ludovic Baschet (Musée Carnavalet, Cabinet des Arts graphiques)
-Le Parnasse, organe des concours littéraires de Paris, 1er juillet 1877
-La Lune rousse, 26 janvier 1879
-La Rue, nouvelle série, 29 novembre 1879 - 28 décembre 1879
-Beaumarchais, 9 octobre 1880 - 20 mai 1883
-Arlequin, 15 septembre 1881 - 18 décembre 1881
-Le Chat Noir, 14 janvier 1882 - 25 août 1883
-Fonds Emile Lorin (Bibliothèque municipale d'Auxerre) ; Emile Lorin (1815-1902), architecte, maire élu d'Auxerre de 1882 à 1884, érudit et bibliophile, fit don à la bibliothèque municipale de ses importantes collections en 1891. (Il possédait entre autres les cahiers manuscrits du capitaine Jean-Roch Coignet, ancien grognard retiré comme épicier à Auxerre.)
- Almanach de l'Yonne, 1884, Auxerre, imprimeur - éditeur Albert Gallot. La notice bien informée qui précède quelques poèmes repris du Propagateur, est due certainement à Albert Gallot lui-même.
-Anthologie Hospitalière et Latinesque, [Edmond Bernard], tome 2, Paris, 1913
-Nouvelles de Clément Privé, préface d'Onésime Monprofit Le violoncelle, Les cent sous de Josette, Le crime de Sainte - Sévère, Silhouettes campagnardes, Paris L. Boulanger, éditeur, 1885
-Le Mot d'Ordre, n° 138, vendredi 18 mai 1883
-Revue des traditions populaires, tome VII, N° 5, 15 mai 1892

© Hocine Bouakkaz