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Moreno, Marguerite


------Lucie, Marie, Marguerite Monceau, dite Marguerite Moreno, naît à Paris en 1871. Reçue au Conservatoire, elle suit la classe de Worms et compte parmi ses condisciples Edouard de Max et Aurélien Lugné. Elle obtient le premier prix de tragédie et débute en 1890 à la Comédie-Française pour la reine de Ruy Blas. Pensionnaire à trois cents francs par mois, elle est distribuée dans la tragédie, pour Junie de Britannicus (1893) ou Aricie de Phèdre. Chimène du Cid ou Elise de L'Avare, la jeune première interprète le répertoire classique d'Horace au Misanthrope. Elle joue plus volontiers aux côtés de Paul Mounet ou de Silvain, Mounet-Sully n'appréciant ni son audace ni son franc-parler. N'affirme-t-elle pas que certaines situations chez Hugo lui semblent invraisemblables ?


Moreno s'impose dans les rôles shakespeariens, l'Ophélie d'Hamlet ( 1896) ou Bianca d'Othello (1899). On la remarque pour son interprétation de sœur Gudule dans Le Voile de Georges Rodenbach, qu'elle crée avec Paul Mounet en 1894. Elle est retenue lorsque sont montés d'autres jeunes auteurs, Eugène Brieux dont elle reprend L'Evasion (1896) et crée La Petite Amie (1901), Jean Richepin pour La Martyre (1898). Elle joue aussi Edouard Pailleron (Cabotins !) et les pièces à costumes, Charles VII chez ses grands vassaux d'Alexandre Dumas (1896) ou La Femme de Tabarin de Catulle Mendès (1897).


Frêle et mince comme une fleur aristocratique, comme l'amoureuse qui se donne toute en un mot, elle a cette voix lointaine et berceuse dont les notes d'une gravité vibrante font tressaillir et se perdent dans une musique légère, aérienne, effleurant à peine d'une caresse ailée . Cette voix dont Catulle Mendès disait qu'elle était " une des plus dociles aux rythmes poétiques qu'il soit possible d'entendre ", ce charme intelligent et discret, séduisent les poètes. Moreno devient l'indéfectible amie de Colette, fréquente Mallarmé, Tailhade, Jarry ou Jean Lorrain qui lui dédie Histoires de masques. Elle épouse Marcel Schwob en 1900.

En 1903, Moreno quitte la Comédie-Française et rejoint Sarah Bernhardt dans son théâtre. Elle y retrouve de Max pour La Sorcière de Victorien Sardou où elle est Afrida, La Légende du cœur de Jean Aicard, Polyeucte ou Le Dieu vert de Keim. Après la mort de Marcel Schwob, on la retrouve chez Firmin Gémier, au Théâtre Antoine, pour Ames ennemies de Paul-Hyacinthe Loyson (1907). Puis Moreno quitte la France pour l'Argentine après avoir épousé Jean Darragon, comédien aux Théâtres du Châtelet et de la Porte Saint-Martin. Pendant sept ans, elle dirige à Buenos Aires la section française du Conservatoire.

Lorsqu'à son retour en France éclate la guerre, Moreno s'emploie d'abord à l'hôpital militaire de Nice. Avec Darragon, elle tourne ensuite ses premiers films: Debout les morts ! (1915) d'Henri Pouctal et Paris pendant la guerre (1916) d'Henri Diamant-Berger. Sa carrière d'actrice se partage désormais entre théâtre et cinéma. A la scène, elle interprète le répertoire classique, le théâtre contemporain et la pièce à costumes. Chez Sarah Bernhardt, elle joue Athalie (1920). Avec Gémier, elle joue La Bataille de Pierre Frondaie (1921) ou La Branche morte d'Alexandre Arquillière. Elle retrouve Jean Coquelin, directeur du Théâtre de la Porte Saint-Martin pour Le Courrier de Lyon d'Emile Moreau (1920) et La Boutiquière des Innocents d'Auguste Anicet-Bourgeois (1922). Au cinéma, Henri Diamant-Berger l'associe à de Max dans Vingt Ans après. Mais elle tourne aussi avec Maurice Chevalier dans Gonzague ou l'encaisseur, L'Accordeur, Le Mauvais Garçon.


Jean Darragon meurt en 1923. Moreno écrit. La Statue de sel, Le Bonhomme de neige, Souvenirs de ma vie et quelques autres paraissent, d'abord en revue. Elle entreprend la publication des œuvres complètes de Marcel Schwob et préface Mœurs des diurnales, traité de journalisme. Elle tourne peu, joue plutôt au théâtre. René Rocher, directeur du Théâtre de la Comédie Caumartin l'accueille pour Ventôse de Jacques Deval (1926), L'Enfant de chœur de René Fauchois ou Le Mauvais Ange d'André Birabeau (1927). Après 1930 au contraire, sa filmographie est très importante. Moreno est, entre autres, La Thénardier dans Les Misérables de Raymond Bernard (1934) et la Mamèche pour Regain de Marcel Pagnol (1936). Elle travaille volontiers avec Sacha Guitry ( Faisons un rêve, Le Mot de Cambronne, Le Roman d'un tricheur) et s'amuse avec Ray Ventura et ses Collégiens dans Tout va très bien Madame la Marquise d'Henry Wulschleger (1936). Bien qu'elle tourne chaque année de cinq à dix films, elle n'abandonne pas le théâtre. Certaines de ses créations sont d'ailleurs portées à l'écran comme Bouton d'Avril de Bernard Zimmer (1930) ou Ces Dames aux chapeaux verts (1937) d'Albert Acremant. Avec Jules Berry, elle joue Le Bluff de Georges Delanu au Théâtre des Variétés (1931). Au Théâtre des Ambassadeurs, elle crée Le Cercle de Somerset Maugham avec Michel Simon (1932).

La guerre et l'occupation ralentissent l'activité de cette malicieuse vieille dame indigne dont Blaise Cendrars s'est inspiré, dit-on, pour sa Thérèse d'Emmène moi au bout du monde. Moreno tourne avec Guitry (Donne moi tes yeux), Claude Autant-Lara (Douce) ou Christian Jaque (Carmen). En 1946, elle est la Générale Epantchine auprès de Gérard Philipe dans L'Idiot de Georges Lampin.
Toutefois, c'est une fois encore au théâtre qu'elle triomphe : à son retour en France, Louis Jouvet a découvert le dernier manuscrit de Jean Giraudoux, La Folle de Chaillot. La pièce est créée au Théâtre de l'Athénée le 22 décembre 1945. Jouvet est le chiffonnier, Moreno l'inoubliable Aurélie.
Elle travaille ensuite à Origines du cœur, tourne pour le cinéma Rendez-vous à Paris de Gilles Grangier, Un Revenant de Christian-Jaque, Les Jeux sont faits de Jean Delannoy … Elle meurt à Touzac, dans le Lot, en 1948.



Œuvres de Marguerite Moreno

-Une Française en Argentine, G. Crès, Paris, 1914.

-La Statue de sel, Le Bonhomme de neige, Annales politiques et littéraires, 1924-1925.

-Marcel Schwob et les diurnales, in Marcel Schwob, Mœurs des diurnales, traité de journalisme, G. Crès, Paris, 1926.
-La Statue de sel, Le Bonhomme de neige, souvenirs de ma vie et de quelques autres, Flammarion, Paris, 1926
-La Guirlande de Beauté, Femmes de France, 1928.
-La Bonne Maison, Femmes de France, 1928-1929.
-Le Moderne Savoir-Vivre, Société parisienne d'éditions, Paris, 1930.
-Origines du cœur, La Bataille, 2 au 14 juillet 1948.
-Souvenirs de ma vie, préface de Colette, Flore, Paris, 1948, réédition Phébus, Paris, 2002.

Bibliographie
-Micheline BOUYOU-MORE NO, La Source bleue et Marguerite Moreno, Bouyou, 1998.
-Raymond CHIRAT, La Vie de Marguerite Moreno, Rocher, Monaco, 2003
-Michel CORVIN, Marguerite Moreno, Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Bordas 1991.

© Catherine Faivre-Zellner