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Icres, Jean-Louis, Marie, Fernand

 

-----Fils de l’instituteur du village, Fernand Icres naît le 15 novembre 1856 aux Bordes-sur-Arize (Ariège). Atteint de phtisie, il meurt à Castex (Ariège) le 14 septembre 1888.
Après des études faites à Montauban, il entre à l'Ecole des Chartes à 21 ans, mais il ne semble pas avoir décroché de diplôme dans cet établissement, puisqu’il est simplement présenté comme instituteur dans les actes d’état-civil. Il prend très tôt le chemin du numéro 19 de la rue Cujas, où, au rez-de-chaussée de l'hôtel meublé Boileau, Emile Goudeau réunit les Hydropathes à partir d'octobre 1878. C'est là qu'il se fait connaître en interprétant lui-même ses vers d'une voix tonitruante. Son " Mitron ", qui devient " Le Mitrogne " pour la jeunesse de l'avant-garde littéraire, lui colle désormais aux basques. Dans Petits Mémoires de la Vie, Tailhade se souviendra plus tard des performances de son ami :
" …Une sorte de Lucrèce paysan, Fernand Icres, gasconnant d'une voix rauque et formidable, crachant son dernier poumon dans les vers luxurieux et sauvages où vibraient éperdument les ardeurs suprêmes de sa machine détraquée… ".

----Pour gagner sa vie, il exerce le métier d'instituteur dans le département de la Seine. En 1880, grâce à Léon Cladel, qui l'a pris sous son aile protectrice, il publie son premier recueil de vers, Les Fauves, chez Lemerre, sous le pseudonyme de Fernand Crésy. Ses amis les plus proches sont alors Maurice Rollinat, Edmond Haraucourt, Emile Cohl et Georges Lorin. Il semble avoir été particulièrement lié à ce dernier ainsi qu'à son père, Maxime Lorin, dont il donnera un portrait au crayon dans l'ouvrage intitulé Autour de moi, édité par Lorin, en 1883, chez Ollendorff. Grâce à ce recueil, on apprend que Maxime Lorin et Fernand Icres s'étaient retrouvés un jour, par hasard, sur le lieu d'une exécution publique. Les deux hommes en avaient alors conçu une forte aversion pour la peine de mort. C'est ainsi que Fernand Icres se trouve être, dans ce livre, le dédicataire du poème intitulé " Sur l'irréparable " de Maxime Lorin.

----En 1881, il suit les Hydropathes transformés en Hirsutes. Puis, à partir de la fin décembre 1881, il commence à fréquenter Le Chat Noir que Salis vient juste d'ouvrir. Dans la revue, il laissera des poèmes d'une extrême morbidité. Citons simplement " La Sépulture " (Le Chat Noir du 13 mai 1882) et encore " Le Crâne " (Le Chat Noir du 10 juin 1882), cette dernière poésie étant dédiée à Marie Krysinska.


---A partir d'août 1883, on le retrouve aux séances des Zutistes, rue de Rennes, où, aux côtés du maître des lieux, Charles Cros, Icres rencontre Charles Vignier, Willy, Ernest Raynaud et son compatriote pyrénéen Tailhade. Après La Nouvelle Rive Gauche, on le retrouve à Lutèce ; il fait même partie de l'éphémère club des Jemenfoutistes qui groupe durant janvier et février 1884 les rédacteurs de Lutèce au café de l'Avenir, place Saint-Michel.


---En 1884, il fréquente le salon de Charles Buet, où il retrouve Tailhade, Oscar Méténier, Jean Lorrain et Armand d'Artois. C'est donc tout naturellement qu'on découvre, l'année suivante, dans La Minerve, fondée par Buet, une poésie de l'Ariégeois intitulée " La Ballade du Hibou ".
On connaît de lui un deuxième recueil de vers (Les Farouches, 1888), des romans (Le Justicier 1886 ; Le Café de l'antre, 1888) et un drame (Perle, 1888).

----Il meurt alors qu'Antoine est en train de mettre en répétition sa pièce, Les Bouchers, qui défraie la chronique à cause des quartiers de moutons que le metteur en scène, à cours de décors, avait disposé sur la scène. Notons au passage que Lugné-Poe débutera, au Théâtre Libre, dans cette pièce le 19 octobre 1888, aux côtés de Mévisto. Darzens interviendra auprès de Cladel pour qu'il rédige une préface à cette œuvre.

---- Icres a collaboré à L'Hydropathe (1879), à Panurge, au Tintamarre, à La Minerve, La Presse parisienne (1882), à La Revue Critique et a signé sous le pseudonyme de Serres au Voltaire.
Sa collaboration annoncée à La Revue Moderniste, en 1885, n'aura pas de suite, la revue ayant cessé de paraître rapidement.
Notons enfin, que Georges Lorin lui a dédié " Le Marché aux Fleurs " dans Paris-Rose et que
Moréas a fait de même avec son poème " Le Crétin " - vers de circonstances? - paru dans Lutèce le 19 janvier 1884.

© Gilles Picq

Œuvres :

  • Les Fauves, poésies. Le Mitron. Tête et coeur. Pyrénéennes, par Fernand Crésy, Paris, A. Lemerre, 1880, 136 p. sur Gallica NUMM- 62456
  • Les Farouches, poésies, 1886, (indiqué par le rapport de Catulle Mendès : " Le Mouvement poétique français de 1867 à 1900 "). Pas d'exemplaire localisé.
  • Le Justicier (moeurs pyrénéennes)
    Paris, J. Lévy, 1886, 271 p. sur Gallica NUMM- 64543
  • Les Bouchers, drame en 1 acte, en vers, lettre-préface de Léon Cladel, Paris, Tresse et Stock, 1889, 42 p. sur Gallica NUMM- 62566
  • Perle, roman, 1889 (indiqué par le rapport de Catulle Mendès : " Le Mouvement poétique français de 1867 à 1900 "). Pas d'exemplaire localisé.
  • Le Café de l'Antre, roman, non publié
  • Les Amours Baroques, prose, non publié.
  • Les Féroces, poésies, volume annoncé comme étant en préparation en 1886.

 



Fernand Icres par Cabriol



Portrait de Maxime Lorin par Fernand Icres

 

La Ballade des Araignées

Au dessus de l'armoire à l'angle du plafond,
Elles vivent en paix les bonnes araignées.
Le mur, humide et mou, se lézarde et se fond
En sueur dont se sont à la longue imprégnées
Les poutres de sapin que le ver a saignées.
Comme elles sont bien, là, dans la sécurité,
De ce coin que le jour n'a jamais fréquenté,
Aussi, matin et soir, leur grise multitude
Pullule tout à l'air et grouille en liberté,
Tourbillonnant dans l'ombre et dans la solitude.

Tissandières en train, elles viennent et vont,
Ourdissant fil à fil leurs toiles bien soignées ;
Ouatant de voiles fins, leur retraite sans fond.
Le long des ais pourris et des planches rognées,
On dirait des cheveux de vierges dépeignées…..
Mais, soudain, sous mes doigts, l'épinette a chanté…..
Et, toutes, écoutant avec avidité,
D'une danse bizarre entreprennent l'étude,
Oubliant trame à l'œuvre et gibier convoité,
Tourbillonnant dans l'ombre et dans la solitude,

Souvent, m'interrompant de mon souci profond,
Arbre longtemps battu des arbres et des cognées,
Je lève mes regards, pour voir ce qu'elles font,
Vers ces sœurs que jamais mon cœur n'a dédaignées,
Et je sens mes douleurs s'adoucir, résignées :
Doux peuple, plein de grâce, en son activité,
Ami de la musique et de l'étrangeté,
Que chérissent mon deuil et mon inquiétude ;
Ainsi je les contemple, avec fraternité,
Tourbillonnant dans l'ombre et dans la solitude,

ENVOI

Tels, les remords velus ont en foule habité
Mon âme d'où la joie hélas ! a déserté.
Se faisant d'un repos une chère habitude,
Ils tendent d'un lac noir tout mon être attristé,
Tourbillonnant dans l'ombre et dans la solitude.

Fernand Crésy

Poème inédit en volume paru dans la revue Panurge N°10 (3 décembre 1882)