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Gémier
(Firmin Tonnerre, dit )




Photographie de Gémier.
(Tous droits réservés)



----Firmin Tonnerre, dit Gémier, naît le 21 février 1869 à Aubervilliers où ses parents tiennent une auberge. Le père, compagnon tanneur, s'est fixé à la barrière de Paris après son tour de France. La mère est Mère des compagnons charpentiers. La famille gagne Paris pour Belleville, haut-lieu de l'avant-garde ouvrière. A l'école primaire supérieure Turgot, l'enfant est boursier.

--Mais " sa passion du théâtre " l'emporte. Il entre au théâtre par la petite porte, celle de la claque pour laquelle il est engagé au Théâtre de l'Ambigu et suit des cours de diction auprès de l'acteur Saint-Germain. Bientôt, il abandonne son emploi de coursier, prépare le concours d'entrée au Conservatoire auquel il échoue à deux reprises et enchaîne les petits rôles dans des groupes d'amateurs en voie de professionnalisation. Il y rencontre ainsi Edouard de Max ou Paul Antoine qui le fait engager à l'automne 1887 pour un rôle furtif au Théâtre-Libre. Puis, du petit rôle jusqu'à l'emploi, Gémier se produit dans les " théâtres de banlieue " tels que les théâtres de Belleville, du Château-d'Eau et des Bouffes-du-Nord avant qu'André Antoine ne l'engage au Théâtre-Libre comme acteur-régisseur, appointé à salaire fixe.

--De l'hiver 1892 au printemps 1900, Gémier accompagne le combat d'Antoine pour " un théâtre littéraire à bon marché ". Au Théâtre-Libre, " théâtre à côté " au fonctionnement irrégulier, s'adressant à un public d'abonnés, succède le Théâtre Antoine qui s'ouvre à l'automne 1897 boulevard de Strasbourg à Paris. Dans le même temps, Gémier joue dans d'autres " théâtres à côté " comme le Théâtre des Escholiers fondé par Georges Bourdon ou le Théâtre de l'Oeuvre de Lugné-Poe pour lequel il campe notamment un Père Ubu qui restera célèbre. Acculé à des compromissions pour assurer la viabilité économique de la structure, Antoine ne peut, comme il l'envisageait initialement, renouveler le spectacle tous les quinze jours pour promouvoir les auteurs nouveaux. C'est la rupture. Gémier et une partie de la troupe quittent Antoine pour une brève saison au Théâtre du Gymnase avant que Gémier ne prenne la direction du Théâtre de la Renaissance où il présente des pièces inédites, dont Le Quatorze Juillet de Romain Rolland et La Vie publique d'Emile Fabre. Cette première direction ne dure qu'une saison théâtrale : endetté à des taux usuraires, Gémier ne peut faire face aux créances. Néanmoins, après celle de grand acteur, il impose au Théâtre de la Renaissance son image de metteur en scène des foules au théâtre.

--Tandis que, pour rembourser ses dettes, il joue aux théâtres du Châtelet ou des Capucines, Gémier échafaude un grand projet, celui d'un théâtre populaire parisien, et se lie avec Camille de Sainte-Croix qui en avait esquissé l'idée dès 1887 pour La Petite République. Dans le même journal, Camille de Sainte-Croix publie, le 17 juillet 1903, un nouveau projet auquel Gémier est associé. Retenu à l'unanimité par la commission de la Chambre des Députés en 1906, il ne peut voir le jour car le Conseil Municipal de Paris s'oppose à son installation au Théâtre du Châtelet dont il est propriétaire.

--En 1903, Gémier est appelé à Lausanne pour y mettre en scène Le Festival vaudois par lequel le canton de Vaud célèbre le centième anniversaire de son entrée dans la Confédération Helvétique. Il y rencontre Emile Jaques-Dalcroze, auteur de la musique et du livret avec lequel il va entretenir des relations amicales et professionnelles déterminantes pour la mise en scène du théâtre populaire. La même année, à l'Odéon, Gémier dirige la scène et crée entre autres son fameux rôle de Philippe Bridau dans La Rabouilleuse qu'Emile Fabre a adapté de Balzac. Il joue encore aux théâtres du Vaudeville et de la Renaissance.

--En 1906, André Antoine est nommé à l'Odéon. Gémier lui succède au Théâtre Antoine et mène une plus sage gestion qu'au Théâtre de la Renaissance : Sherlock Holmes, de Pierre Decourcelle est joué trois cent trente cinq fois, Papillon dit Lyonnais le Juste de Louis Bénière plus de cent cinquante fois. Gémier monte pourtant de nouveaux auteurs, équilibrant les créations innovantes avec ce qu'il appelle des " pièces-mécènes ". Mais son grand projet le tient toujours. Il y rallie son ami Joseph Paul-Boncour. Ancien avocat du syndicat des comédiens dont Gémier était secrétaire général, désormais député et bientôt ministre, Paul-Boncour fait valoir devant la Chambre, à l'automne 1910, le théâtre populaire d'initiative privée que Gémier a inventé : le Théâtre National Ambulant.

--Il a fallu à Gémier cinq années de recherches et la compétence technique des ingénieurs Henri et Jacques Febvre-Moreau pour le réaliser. Le Théâtre National Ambulant possède le confort, la modernité et les perfectionnements techniques, notamment en matière d'éclairage de scène, des théâtres parisiens. C'est un vaisseau de toile pouvant accueillir plus de mille cinq cents spectateurs, destiné à tous, accueillant tous les publics avec ses places de un à sept francs. En 1911, un train de tracteurs à vapeur transporte par route, de ville en ville, la troupe du Théâtre Antoine: de Versailles à Lille, Armentières, Calais, Boulogne-sur-Mer, Berck… Malgré un vrai succès, une affluence qui parfois fait émeute, les frais d'investissement ne peuvent être couverts. Les commanditaires mettent l'entreprise en liquidation judiciaire avant même que le théâtre ne termine sa tournée. Grâce à Serge Sandberg, Gémier rachète une partie du matériel. Au printemps 1912, désormais transporté par voie ferrée, le Théâtre National Ambulant gagne le nord et l'est de la France, pour une tournée plus longue. A son retour à Paris, Gémier sollicite l'aide de l'Etat qui fait la sourde oreille.

--La Première Guerre Mondiale éclate alors qu'à Genève, Gémier travaille avec Emile Jaques-Dalcroze au spectacle Les Fêtes de juin. D'abord rattaché au cabinet du préfet des Ardennes, Gémier regagne Paris et organise au Théâtre Antoine des galas au bénéfice des réfugiés. Il met en place le théâtre aux armées. En 1917, il fonde la Société Shakespeare pour laquelle il crée Le Marchand de Venise. C'est le triomphe d'une nouvelle esthétique : le spectacle déborde le cadre de scène. Gémier supprime la rampe, utilise les projecteurs jusque là employés exclusivement au music-hall. Les acteurs jouent sur le plateau, dans les loges d'avant-scène, aux balcons. Ils circulent par des escaliers de la scène à la salle et se mêlent aux spectateurs. La musique soutient la représentation. Pour Antoine et Cléopâtre, peu après monté selon la même facture, l'orchestre est placé à l'amphithéâtre afin d'envelopper le spectacle d'une onde musicale.

--En 1918, Gémier fonde le groupement des Artistes Associés, coopérative regroupant tous les travailleurs du spectacle, également intéressés aux bénéfices, avec laquelle il crée, à Lyon, La Mégère apprivoisée et Le Bourgeois gentilhomme. Son engagement se radicalise : il met en scène au Cirque d'Hiver à Paris Œdipe roi de Thèbes de Saint-Georges de Bouhélier et La Grande Pastorale de Pol d'Estoc, deux grands spectacles qui illustrent sa conception du théâtre populaire à la fondation duquel il milite par voie de presse, notamment dans L'Ere Nouvelle et La Revue mondiale. Il participe aux enseignements du Conservatoire syndical, destiné à innover en matière de formation des acteurs. Plus tard, secondé par Gaston Baty, il ouvre pour une saison théâtrale un laboratoire de création au Théâtre des Champs-Elysées : la Comédie-Montaigne.

--En 1920, Gémier croit voir enfin son projet aboutir. Sous l'impulsion de Pierre Rameil qui avait été acteur avant d'entamer une carrière politique, la Chambre des Députés vote la fondation de la cinquième scène nationale, le Théâtre National Populaire et en nomme Gémier directeur. C'est le début d'un nouveau combat. Le théâtre est installé dans la salle des fêtes du Trocadéro, glaciale, à l'acoustique déplorable. Les travaux, indispensables, sont à la charge de Gémier, considéré comme un concessionnaire. La subvention dérisoire ne permet pas d'y rattacher une troupe. Le théâtre ne peut qu'accueillir les spectacles des quatre autres scènes subventionnées. Gémier brigue donc la direction de l'Odéon en 1922 afin de mettre au service du TNP les moyens du second Théâtre Français.

--En dépit des tournées organisées dans les villes ouvrières de banlieue, malgré les soirées d'opéra et les créations, le TNP ne parvient pas à réunir le peuple, toutes classes confondues, au partage d'une même émotion. A l'Odéon, Gémier parvient difficilement à modifier les habitudes. Néanmoins, le travail de Gémier à l'Odéon et au TNP, outre qu'il contribue au mouvement d'éducation populaire, est novateur en ce qu'il bouleverse la donne culturelle. Comme il ouvre le théâtre à tous les publics, Gémier milite pour la pluralité contre la norme, ouvre la scène sans exclusive à toutes les formes d'art vivant jusqu'à transformer les sages comédiens du second Théâtre Français en artistes de music-hall et de café-concert pour Odéon-Revue.
L'Odéon permet à Gémier de concrétiser un idéal qu'avait amorcé la Société Shakespeare : l'internationale du théâtre. Persuadé que seul l'art peut sauver la paix, Gémier prend contact en 1925 avec les créateurs allemands, autrichiens, américains et fonde la Société Universelle du Théâtre. La SUDT, qui vise la défense des intérêts professionnels des artistes, est aussi une académie artistique qui cherche à favoriser les échanges entre les auteurs, les compositeurs, les interprètes et les techniciens. La SUDT publie une revue, Les Cahiers du théâtre, et organise annuellement une exposition, un congrès et un festival dans une capitale européenne. En 1928, l'Odéon accueille sa seconde édition.

--En 1930, Gémier démissionne de l'Odéon. Il se tourne vers le cinéma. Il y est acteur mais aussi réalisateur, adaptant notamment pour le septième art, un de ses grands succès de la Comédie-Montaigne, Le Simoun d'Henri-René Lenormand. Il travaille à une adaptation du Marchand de Venise quand il est meurt d'une crise cardiaque à son domicile parisien, le 26 novembre 1933.


©Catherine Faivre-Zellner