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Fabre, Henri
(pseudonyme : Henri DAYEN)

 

Né à Ayen (Corrèze) le 14 juillet 1876, d'où le pseudonyme adopté parfois : Henri Dayen ; mort à Brive (Corrèze) le 25 novembre 1969 ; journaliste socialiste.

Henri Fabre quitta son pays à l'âge de treize ans pour Paris où il exerça divers métiers : garçon de laboratoire, employé de bureau dans un hôtel, employé de commerce dans plusieurs maisons. À l'âge de quinze ans, il envoya des articles à l'Union des Employés, journal syndical, ce qui lui valut d'être mis à l'index par le patronat. Il quitta Paris et fit son tour de France. À Lyon, il créa un hebdomadaire, La Jeunesse nouvelle (n°1, 5 décembre 1896) au moment où Sébastien Faure fondait à Paris le Libertaire, journal auquel Fabre envoya des articles.

Il collabora ensuite pour le Dictionnaire La Châtre, refonte du Nouveau Dictionniare universel, édité par la Librairie du progrès. Tout d'abord placier pour le Dictionnaire, il fut appelé par Mme Marie Oriol, fille de Maurice La Châtre, à l'administration de la Librairie du Progrès. Il prit part à la refonte du dictionnaire, rejoignant André Girard, Miguel Almereyda, et Victor Méric. En 1906, il aida au lancement de La Guerre Sociale, le journal de Gustave Hervé dont il fut, avec Mme Oriol et Fernand Després, l'un des trois premiers souscripteurs. En 1908, il fonda Les Hommes du Jour ; il en était l'administrateur, Victor Méric en fut le gérant, l'hebdomadaire étant initialement domicilié au 3, rue des Grands Augustins, adresse de la Librairie du progrès.

Dans la tradition des journaux d'André Gill, La Lune, L'Eclipse, chaque numéro présentant la biographie d'un personnage rédigée non sans humour par Victor Méric, sous la signature " Flax ", tandis qu'une truculente caricature de Delannoy donnait les traits du personnage. Les Hommes du Jour ont paru sous cette forme jusqu'après 1918. La publication a continué jusqu'en 1939 avec des collaborateurs divers, la caricature étant remplacée par un cliché photographique. Henri Fabre compléta la série des Hommes du Jour par les Portraits d'hier, consacrés à des célébrités des lettres, des arts, de la politique ayant vécu au XIXe siècle.

Après un temps " union sacrée ", Henri Fabre, demeuré au fond de lui-même pacifiste et libertaire, refusa la guerre et créa en 1916 Le Journal du Peuple, un quotidien qui s'ouvrit sur un article de Séverine " Prière à l'Innommée " (la Paix). Le Journal du Peuple servit de tribune au mouvement socialiste minoritaire et eut de nombreux démêlés avec la censure. Y collaborèrent L.-O. Frossard, Maurice Delépine, Ch. Rappoport, B. Mayéras, G. Pioch, Boris Souvarine. Le journal parut jusqu'en 1922. En 1918, peut-être en vue de faire en pays limousin une carrière politique, Henri Fabre créa à Brive un hebdomadaire La Corrèze républicaine et socialiste qui toucha une assez large clientèle, et dont il assura la direction jusqu'en 1966, donnant chaque semaine un article plein de bon sens, écrit avec aisance et non sans talent.

Sa participation au mouvement socialiste minoritaire devait l'amener à soutenir la Révolution russe, même celle de novembre 1917 et bien que son tempérament libertaire ne l'attirât point vers un parti politique à discipline rigoureuse, il adhéra au Parti communiste. Il devait y faire un court séjour après avoir été délégué de la Seine au congrès de Strasbourg puis avoir participé au congrès de Tours. Il fut exclu en 1922 " par ordre de Moscou ", ce dont il tirait presque vanité. Il écrivit dans Le Monde du 25 septembre 1952 :

" Le Journal du Peuple était l'organe quasi officiel, du comité de la troisième : Raymond Lefèvre, Vaillant-Couturier, Victor Méric, Brizon, Verfeuil, Souvarine, Rappoport, Henry Torrès -- sénateur de la Seine aujourd'hui -- et d'autres encore. Ses colonnes étaient largement ouvertes à tous ces collaborateurs qui, depuis, furent exclus à leur tour -- à part Charles Rappoport, qui s'était retiré de lui-même.

" Ce n'est qu'à Tours que je vis clair dans le jeu bolcheviste. Les vingt et une conditions, l'entrée en scène d'une militante allemande, Clara Zetkin, je crois, le télégramme de Zinoviev (le fameux coup de pistolet), déterminèrent ma conviction. J'étais donc prêt à me retirer et à suivre Marcel Sembat, Pierre Renaudel, etc., dont les conjurés désiraient se débarrasser.

" Sur la pression de Souvarine, Rappoport, Henry Torrès, je restai avec la majorité, étant bien entendu que je gardais ma complète liberté d'expression.

" J'abusais d'autant mieux de cette liberté que le Journal du Peuple et moi-même furent traduits devant la commission des conflits de la Seine. Celle-ci refusa de nous exclure étant donné les services rendus.

" Mais à Moscou, Trotsky et Souvarine veillaient. Le présidium fut, par leurs soins, saisi de notre cas. Ce ne fut pas long : l'exclusion sans phrase fut ordonnée. "

La chronologie du conflit peut être suivie au travers des différents documents de l'Internationale communiste. Les 15 et 19 décembre 1921, l'Exécutif de l'Internationale exprimait au Comité directeur son désaccord avec certains articles du Journal du Peuple. Le 18 mars 1922, le Comité exécutif de l'IC décidait d'exclure Fabre en application de l'article 9 des statuts. En France, le Comité directeur avait, le 13 avril 1922, demandé cette exclusion mais la majorité de la commission des conflits avait alors protesté et démissionné. Aussi, la commission avait-elle été dissoute. Pour le Comité exécutif de l'IC, cette exclusion était effective en date du 9 mai. Toutefois rien n'était réglé en juin 1922 comme le prouve un rapport d'Humbert Droz : à la réunion du CD, le 23 juin, une majorité avait rejeté la proposition du CE de l'IC. Il fallut attendre le congrès de Paris (octobre 1922) pour que l'exclusion fut votée.

En avril 1928, Fabre fut candidat " socialiste indépendant " aux élections législatives dans la circonscription de Brive-Sud ; il se désista pour le candidat radical arrivé en tête au premier tour. En 1929, il fut candidat aux élections municipales à Paris. Jusqu'en 1940, il resta fidèle à la tactique traditionnelle d'union des gauches qu'il avait pratiquée autrefois. Il poursuivit cette politique après la Libération.

Une amitié de longue date avec Pierre Laval lui permit, moyennant certaines précautions, de publier à Brive, où il s'était réfugié en 1940 et qu'il ne quittera plus, La Corrèze républicaine et socialiste sous le régime de Vichy. Il subit néanmoins quelquefois les rigueurs de la censure -- selon H. Coston, il eut des heurts avec Vichy à propos de la Légion des combattants dont il désapprouvait la création -- et fut même arrêté et relâché.

À la Libération, La Corrèze républicaine et socialiste fut interdite et pas seulement pour des raisons patriotiques : elle avait des rivaux. Lorsque son journal reparut, Fabre se vengea. Certains confrères le firent condamner à 20 000 f d'amende pour diffamation. Dans le feu de la polémique, il avait écrit, en effet : " Les actes des Francs-Tireurs autorisent l'ennemi à avoir recours à des représailles. " Il fut condamné de nouveau à 20 000 f d'amende pour " apologie " des affaires de Tulle et d'Oradour.

En 1964, âgé de 88 ans, il fut encore poursuivi pour " outrages au président de la République ". Le tribunal abandonna toutefois les poursuites.

Dans les dernières années de sa vie, Henri Fabre, doyen des journalistes français, n'avait plus la responsabilité du journal, mais donnait encore un bloc-notes hebdomadaire à La Corrèze républicaine, dirigée par son successeur Roland Dumas. Il vécut longtemps dans les locaux du journal et demanda à y retourner pour finir ses jours. Il laisse dans la presse française le souvenir d'un journaliste habile, au style simple, sans apprêt, et d'un fondateur et directeur de journaux avisé.

©Notice de François Gaudin, à paraître dans Le Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français.