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Lady Caithness, duchesse de Pomar


Portrait de Lady Caithness paru dans le N° 121
(15 décembre 1895) de la Revue Encyclopédique

-----Fille unique de don Antonio Jose Mariategui de Santa Catalina et d'une catholique anglaise, Maria de Mariategui naît à Madrid en février 1830. Célébrée pour son intelligence, sa culture et sa beauté, elle épouse, en 1853, le comte de Medina Pomar, dont elle a un fils, Manuel Maria Medina de Pomar y Mariategui, et mène une existence cosmopolite entre Madrid, Paris et la Havane, où son mari possède des plantations.

-----En 1868, après son veuvage, elle s'installe en Angleterre pour y faire élever son fils au collège des Jésuites de Windsor. Elle rencontre Lord Barrogil, James Sinclair,14e duc de Caithness (1821-1881), savant membre de la Royal Society of London, connu pour ses découvertes techniques. Elle l'épouse en secondes noces, le 6 mars 1872. C'est dans le château de Caithness, situé dans les Highlands, à l'extrême nord du pays, face aux îles Orcades, que, par temps clair, elle dit avoir assisté aux premières apparitions de Marie Stuart. Bientôt, lors d'un séjour à Édimbourg, l'esprit de la reine lui demande de " se consacrer cœur et âme au progrès spirituel de l'humanité ". Elle a décrit cette apparition décisive dans une brochure intitulée A Midnight visit to Holyrood.

-----Une nouvelle fois veuve en 1881, lady Caithness s'établit l'année suivante en France, où elle partage son temps entre son domicile parisien, 124 avenue de Wagram, qu'elle nomme " Holyrood ", et le palais Tiranty, à Nice, où elle participe à la vie mondaine hivernale. Entre-temps, le pape Léon XIII l'a faite duchesse de Pomar (1879). Son installation en France correspond à la décision de fonder un culte dédié à la reine d'Écosse dans sa patrie d'adoption. Elle place son immense fortune personnelle au service de cette cause, multipliant les réceptions dans lesquelles se mêlent adeptes du spiritualisme et curieux. L'exploratrice Alexandra David-Néel a laissé un témoignage sur les séances de spiritisme organisées dans la chapelle du " palais ", devant un portrait en pied de la reine. Lady Caithness organise aussi des conférences hebdomadaires où s'expriment, entre autres, le médecin Charles Richet (1850-1935), élève de Charcot et analyste des phénomènes parapsychologiques, l'astronome Camille Flammarion (1842-1925), le spirite Léon Denis (1846-1927) ou Annie Besant (1847-1933), future présidente de la Société théosophique.

-----En 1886, à l'approche du troisième centenaire de l'exécution de Marie Stuart, Lady Caithness fonde une revue, L'Aurore du jour nouveau, dédiée à l'étude des spiritualités. L'Aurore reflète l'éclectisme de ses convictions religieuses, mélange, selon Nicole Edelman, de catholicisme, de théosophie, de bouddhisme, de spiritisme et de protestantisme. Lady Caithness a été influencée par l'anglaise Anna Kinsford (1846-1888) qui annonçait, dans son ouvrage The Perfect way, (1882), le règne de la femme, une idée qu'elle adopte. En 1882, elle devient l'éphémère présidente de la Société théosophique d'Orient et d'Occident. En mars 1883, elle accueille à Nice ses fondateurs, Helena Blavatsky (1831-1891) et le colonel Olcott (1832-1907), auxquels elle apporte un soutien financier pour les aider à répandre leur doctrine en France. Elle trouve en effet dans la théosophie ce qui l'avait inspirée dans le spiritisme : la possibilité de communiquer avec des grands êtres du monde parallèle et le désir d'atteindre par l'illumination les plans les plus élevés de l'existence.

-----Selon Lady Caithness, Marie Stuart côtoie une série d'esprits supérieurs de tous les lieux et de tous les temps, dans ce qu'elle appelle " le cercle de l'étoile " ou " le cercle du Christ ", parmi lesquels figure aussi Jeanne d'Arc. Leur but est de créer, par l'union des forces spirituelles et des forces terrestres, un grand centre de puissance au moyen duquel les esprits incarnés les plus avancés (...) deviendraient les précurseurs d'un ordre de choses nouveau et plus élevé sur cette terre ". La mission de Lady Caithness est de " répandre " ces révélations " de façon à saturer l'atmosphère du monde de ces pensées vraies ". Elle devient ainsi la prophétesse d'une nouvelle religion qui apportera au monde la quatrième Révélation, après celle de Moïse, de Jésus, et celle délivrée directement par les Esprits aux médiums. Dieu est masculin et féminin, père et mère ; le temps du sacerdoce masculin est révolu, car la voie parfaite est celle de la femme et de l'esprit féminin opposé à l'animalité masculine. Dans cette perspective, Marie Stuart apparaît comme un Christ féminin dont le martyre annonce le règne glorieux de la femme. La religion révélée par Lady Caithness est ainsi syncrétique, optimiste et féministe. À propos d'une telle démarche, Nicole Edelman évoque une " marginalité féconde " aboutissant à une " survalorisation " de la femme.

-----Mais Lady Caithness n'est pas seulement le médium puis la prophétesse de Marie Stuart. Au fil du temps, elle s'est de plus en plus identifiée à elle. Sur son papier à lettres, elle arbore les armes de la reine d'Écosse ainsi que sa devise : " en ma fin est mon commencement. " Au cours de la saison de 1895, elle assiste à un grand bal costumé à Nice vêtue en Marie Stuart. Auparavant, en 1891, elle avait commandé à Ringel d'Illzach une statue de marbre de la reine d'Écosse qu'elle souhaitait offrir à la ville de Paris. Un conflit opposa bientôt la commanditaire à l'artiste, relaté ainsi par ce dernier : Lady Caithness se serait exclamée en découvrant son oeuvre : " "le corps ressemble à un canard foudroyé (...) et la robe à un édredon ! Cette statue est atroce ! Et puis, elle n'est pas ressemblante !" Lorsque j'appris à la duchesse que j'avais représenté les traits de Marie Stuart d'après le portrait authentique qui se trouve au Louvre, elle entra dans une grande colère (...) "Sachez une chose, c'est que je ressemble trait pour trait à la reine Marie Stuart. Si vous voulez voir son visage, contemplez le mien. "" Exposé en 1891 au Salon du Champ de Mars, le modèle en plâtre de cette statue est aujourd'hui conservé au musée Bertrand de Châteauroux.

-----Organiser un culte dédié à une reine dans la France de la IIIe République, n'est pas chose facile... En cet âge d'or de la statuaire publique, la municipalité de Paris refusa justement d'installer sur une place publique la statue de Marie Stuart. Sensible à la qualité artistique de l'œuvre, le Directeur des Beaux-Arts proposa un compromis : l'installer dans le jardin de l'Infante, entre le Louvre et la Seine. Mais Lady Caithness rejeta cette offre : elle tenait à ce que la statue fût précisément placée à l'angle du Boulevard Ampère, de l'Avenue de Wagram et de la rue Brémontier, pour être visible des fenêtres de son hôtel particulier.

-----Par ailleurs, à cette époque, si l'on en croit la philanthrope féministe Émilie de Morsier (1843-1896), secrétaire de l'Aurore, Lady Caithness était devenue la risée d'un " public sceptique et rieur qui se pressait dans la grande salle des fêtes et s'y disputaient les places comme au spectacle ". Bientôt, " l'aurore du jour nouveau ", que l'on pourrait interpréter comme un prolongement optimiste de la devise de Marie Stuart, devait s'éteindre en même temps que sa promotrice. De manière plus générale, les dernières années du XIXe siècle marquent le déclin des médiums prophétesses.

-----Lady Caithness décède à Paris le 2 novembre 1895. Après un service funéraire dans l'église Saint-François de Sales, elle est inhumée à Holyrood, où aucun service romain n'avait été célébré depuis 1688, le 26 novembre.

Oeuvres de Lady Caithness :

. 1881/1882, London, J. Burns (1882), in 16, 31 p. (BNF : 16-R PIECE-1520)
. 1881. La Quadruple constitution, mode de l'amour divin et de la sagesse divine, Paris, 1883, in 8, 86 p. (BNF : 8-R-5216)
. Fragments glanés dans la Théosophie occulte d'Orient par lady Caithness, duchesse de Pomar, Nice, impr. de V. Eug. Gauthier, 1884, in 8, 81 p. (BNF : S97/3459 mf.)
. Théosophie universelle. La théosophie chrétienne, Paris, G. Carré, 1886, in 8, 174 p. (BNF : D2-15207)
. Théosophie sémitique. Les vrais israélites, l'identification des dix tribus perdues avec la nation britannique, les suffis et la théosophie mahométane, Paris, G. Carré, 1888, in 8, XIII-149 p., extrait de la revue l'Aurore, année 1887 (BNF : MFICHE 8-H-5529)
. A Midnight visit to Holyrood, Glasgow, Privately printed, n. d. (National Library of Scotland)
. Interprétation ésotérique des livres sacrés, Paris, Librairie de l'art indépendant, 1891, in 16, 227 p. (BNF : A-20753)
. L'Ouverture des sceaux, Paris, Librairie de la " Nouvelle Revue ", 1893, in 16, 316 p. (BNF : MFICHE A 20888)
. Révélations d'en-haut sur la science de la vie, reçues par lady Caithness, duchesse de Pomar, Paris, librairie de la " Nouvelle Revue ", 1893, in 16, 267 p. (BNF : MFICHE 8-R-11423)
. Le Spiritualisme dans la Bible, Paris, Librairie de la " Nouvelle Revue ", 1894, in 16, 64 p. (BNF : MFICHE A-20938)
. " Je me suis éveillé ". Conditions de la vie de l'autre côté. Communiqué par écriture automatique. Édité par la duchesse de Pomar, Paris, rédaction et administration de l' " Aurore ", 1895, in 8, 71 p. (BNF : SP94/1305)
. La Rénovation religieuse, Alençon, impr. de Guy veuve fils et Cie, 1895, in 8, III, 123 p. (BNF : MFICHE 8-R-13373).
. Le Secret du Nouveau-Testament, Paris, à la rédaction de l' " Aurore du jour nouveau ", 1896, in 16, XXII-559 p. (BNF : A-21102)

Édite :
L'Aurore du jour nouveau, revue de logosophie, psychologie, spiritualisme, ésotérisme, théosophie de l'Orient et de l'Occident, Paris, 1886-1895, 14 vol. in 8 (BNF : 8-R-10188)

Préface :
Michel LÉO, La fleur de France, interprétation ésotérique de la vie et de la mission de Jeanne d'Arc, Paris, P. Combes, (1890), in 8, 45 p. (BNF : 8-LB26-267)

Traduit :
Agnes STRICKLAND, Marie Stuart, reine d'Écosse et de France, ouvrage publié par la duchesse de Pomar, premier volume. Paris, rédaction de l'Aurore du jour nouveau, (1895), in 8, 480 p. (BNF : MFICHE NM 453)

Sources :

. Archives :

- Lettre de lady Caithness à Jules Simon (AN, AP, fonds Jules Simon)
- Dossier " Ringel " (série S, archives des Musées nationaux)

.Imprimées :

Anonyme " La statue de Marie Stuart ", Le Temps, 26 août 1891.

COMBES Paul, Nos contemporaines. Lady Caithness, duchesse de Pomar, Paris, Librairie universelle, in 16, 16 p. 1888. (BNF : 8-G-5965)

DAVID-NÉEL Alexandra, Le sortilège du mystère, faits étranges et gens bizarres rencontrés au long de mes routes d'Orient et d'Occident, Paris, Plon, 1972, pp. 98-101. (BNF : 8-LN27-90378)

MORSIER Émilie de, La Mission de la femme, discours et fragments, précédés par une notice biographique et littéraire par Édouard Schuré, Paris, Fischbacher, 1897, pp. 182-183. (BNF : MFICHE 8-R-14467)

Nécrologies parues dans :
- l'Aurore du jour nouveau, vol. 14, 1895, nécrologie reprise dans une brochure intitulée " In Memoriam Lady Caithness, duchesse de Pomar, entrée dans la vie éternelle le 2 novembre 1895, Alençon, imp. de Guy, Vve, fils et Cie, 1895 (BNF : 8-NX-2484)
- La Gazette de France, 5 novembre 1895.
- Le Temps, 5 novembre 1895.
- Times, 5 novembre 1895.

Bibliographie :

" Lady Caithness ", in BOASE, Modern English Biography, in Archives biographiques anglaises.

" Sinclair James ", in Dictionary of National Biography, edited by Sydney Lee, London, Smith ; Oxford, New York, Oxford University Press, 1927, t. XVIII, p. 298-299 (BNF : 920.041 DICT 68)

CADÈNE Nicole Marie Stuart (1820-1899), Image et images de la reine d'Écosse au XIXe siècle français, thèse, Université de Montpellier III, 1997, t. I, pp.111-118 et passim.

EDELEMAN Nicole, Voyantes, guérisseuses et visionnaires en France, 1885-1914, Albin Michel, 1995, pp. 203-207 et passim. (BNF : 944.06/306 EDEL v)

GASPARD-HUIT Pierre, L'Illuminatrice, Helena Petrovna Blavatsky, Sand, 1989, pp. 260-264. (BNF : 8-PZ-7572)

©Nicole Cadène