----La
fin du 19e siècle voit paraître et se multiplier les manuels
de savoir-vivre, une mode consécutive aux mutations sociales
et économiques que connaît alors la Société.
La bourgeoisie est, en effet, à la recherche de références
culturelles pour légitimer sa réussite, son enrichissement.
Parmi les noms qui s'illustrèrent dans cette pédagogie
de la bienséance, celui de la baronne Staffe : elle connut une
durable renommée grâce notamment à ses Usages
du monde. Règles du savoir-vivre dans la société
moderne (1889).
"
Baronne Staffe " est le pseudonyme de Blanche Soyer, née
en 1843 dans les Ardennes. Si le titre aristocratique était nécessaire
pour crédibiliser ses préceptes et son propos, la particule
étant le signe le plus manifeste d'appartenance à un milieu
social considéré comme une référence en
matière de savoir-vivre et de bienséance, son origine
demeure mystérieuse. Peut-être est-il lié au monde
de l'armée dont elle est issue ? Une des rares nécrologies
publiées en août 1911, nous révèle qu'elle
appartient à une famille de militaires : son deuil est en effet
conduit par des membres de sa famille, le général Albert
Soyer et le général Auguste Soyer, commandant de la 28e
division d'infanterie (1). Ses liens avec l'armée expliquent
les étonnantes métaphores militaires dont use la baronne
use pour traduire certaines circonstances. Au chapitre Divers,
à la rubrique " La timidité et l'aisance " des
Usages du monde. Règles du savoir-vivre dans la société
moderne, elle compare le malaise de son lectorat qui fait son entrée
dans le monde à
[
]
la situation d'un jeune soldat qui va au feu. Une balle siffle à
son oreille, [
] un obus éclate... loin de lui, il courbe
la tête. À la seconde bataille, il frissonne un peu moins
fort. À la troisième, il tressaille à peine. Puis
le voilà qui s'aguerrit, au point de plaisanter les boulets,
en leur ôtant son képi [
]. Il est crâne, il
est gai, l'habitude en fait un vrai troupier (2)".
Ses affinités avec l'armée jettent un éclairage
nouveau sur l'avant-propos de ce même manuel qui est un éloge
à " la généreuse courtoisie française,
l'élégante urbanité, qu'on cherchera toujours à
imiter hors frontières (3)". La publication de ce manuel
coïncide, en 1889, avec l'apogée du boulangisme. Le général
Boulanger incarnait alors l'espoir d'une réforme des institutions
et surtout d'une revanche sur la Prusse, exacerbant ainsi la conscience
patriotique de nombreux milieux, dont l'armée. En présentant
la politesse comme une caractéristique de l'identité française,
la baronne Staffe relayait et alimentait le nationalisme ambiant. Cette
conjoncture politique n'est certainement pas étrangère
au succès des Usages du monde. Règles du savoir-vivre
dans la société moderne et de son auteure.
Elle a été élevée par deux de ses tantes
célibataires, à Morsang-sur-Orge d'abord, puis à
Savigny-sur-Orge où elle finira sa vie. Mais celle-ci n'est cependant
pas la vieille fille issue de la bourgeoisie de province, cloîtrée
dans sa villa " Aimée ", qu'on s'est souvent plu à
décrire. Son activité éditoriale indique qu'elle
entretenait des relations régulières avec le monde journalistique
parisien. Elle collabora en effet à différents périodiques
populaires : entre 1892 et 1901, elle signa " Notes Mondaines "
et " Gazette des cours " des Annales, sa signature
se retrouvait également dans La Nouvelle Revue, à
la rubrique " Carnet mondain " entre 1895 et 1899. Elle donna
quelques articles à La Revue illustrée entre 1892
et 1900, son nom apparut dans Paris-Mode... Une indiscrétion
de journaliste nous apprend que celle-ci avait commencé "
par écrire assez obscurément dans des journaux de modes,
où ses chroniques plaisaient par un certain tour élégant
et aimable. Un éditeur lui proposa de réécrire
sur un plan nouveau, en l'accommodant aux murs modernes l'ouvrage
classique de la comtesse de Bassanville (4)". Sa bibliographie
se compose essentiellement de manuels et de guides à destination
d'un public féminin ainsi qu'en témoigne le titre de nombre
de ses ouvrages, La Maîtresse de maison (1892), La Femme
dans la famille (1900) ou encore Les Hochets féminins
: les pierres précieuses, les bijoux, la dentelle, la broderie,
l'éventail, quelques autres superfluités (1902). Dans
cette société en pleine mutation, la baronne Staffe souhaitait
en effet incarner " l'éducatrice de la femme moderne (5)".
Elle réédita et préfaça les écrits
de la marquise de Lambert consacrés à l'éducation
des jeunes gens : en 1896 paraissait L'Éducation des jeunes
filles, avis de la Marquise de Lambert à sa fille puis
De l'Éducation des jeunes gens, avis de la Marquise de Lambert
à son fils. On compte peu d'écrits de fiction,
Entre mère et fille (1890) et Spolié (1898)
qui sont des recueils de nouvelles. Si elle admet la jupe courte -qui
dégage la cheville- la baronne Staffe ne promeut à aucun
moment l'émancipation féminine, partant du principe que
" plus la femme est femme, plus l'homme l'aime " et que, "
en vivant à la manière des hommes, les femmes sont bien
près de rejeter toutes les sujétions imposées à
leur sexe fort sagement, car elles préservaient de toutes atteintes
nos meilleurs dons et les qualités qui nous faisaient aimer (6)".
Elle déconseille même à sa lectrice de chanter "
une chose " drôle " ou " gaie ", (car) les
hommes la traitent de " bon garçon ", lui parlent avec
moins de retenue, la considèrent comme un " camarade (7)".
Emblématique de ce rapport entre les sexes, qui est également
celui établi par la Société, le thème proposé
pour un bal masqué dans ses Usages du monde. Règles
du savoir-vivre dans la société moderne: " les
femmes en colombes, hirondelles, fauvettes ; les hommes en oiseaux de
proie (8)".
Notes:
1." Carnet mondain ", Le Gil Blas, 21 août 1911.
2.Baronne Staffe, Usages du monde. Règles du savoir-vivre dans
la société moderne, Paris, Tallandier, " Texto ",
2007, p. 294.
3.Ibid., p. 28.
4.Sergines, " Les Échos de Paris ", Les Annales politiques
et littéraires, 27 août 1911. L'ouvrage auquel il est fait
allusion ici est Le Code du cérémonial. Guide des gens
du monde dans toutes les circonstances de la vie, paru en 1867.
5.Baronne Staffe, Le Cabinet de toilette, Paris G. Havard & fils,
1899, p. IV.
6.Baronne Staffe, " La Femme peut-elle fumer ? ", Journal
de la Société contre l'abus du tabac, janvier 1906, n°1,
p. 84.
7.Baronne Staffe, Usages du monde. Règles du savoir-vivre dans
la société moderne, p. 191.
8.Ibid., p. 193.
Dr Nelly Sanchez
uvres
Usages
du monde : règles de savoir-vivre dans la société
moderne : Paris : V. Havard, 1889 : 16- R- 3113
Entre
mère et fille (La Rivale. Jean Duchêne) : Paris : V.
Havard, 1890 : 8- Y2- 43396
Le
Cabinet de toilette : Paris : V. Havard, 1891 : 8- TC13- 18
La
Maîtresse de maison : Paris : V. Havard, 1892 : 8- R- 10967
Traditions
culinaires et l'art de manger toute chose à table : Paris
: V. Havard, 1894 : 8- V- 24677
La
correspondance dans toutes les circonstances de la vie : Paris :
L. Chailley, 1895 : 8- Z- 4268
Préface
(Mes réflexions sur les Avis d'une mère à sa
fille) de l'Éducation des jeunes filles, avis de la Marquise
de Lambert à sa fille (18e) : Paris : E. Rouveyre, 1896 :
8- R- 13230
Préface
(Mes réflexions sur les avis d'une mère à son
fils) de De l'Éducation des jeunes gens, avis de la Marquise
de Lambert à son fils (18e siècle), suivi de Un
Traité de l'amitié : Paris : E. Rouveyre, 1896 : 8-
NF- 25911
Mes
secrets pour plaire et être aimée : Paris : G. Havard,
1896 :16- R- 31351
Les
Pierres précieuses et les bijoux : Paris : Chamuel, 1897
: 8- V- 26177
Agenda
de la baronne Staffe : Paris : G. Havard, 1897 : 4- Z- 1116
Spolié
(L'étape ; Quelques années de la vie d'une femme)
: Paris : G. Havard, 1898 : MFICHE 8- Y2- 51389
La
Femme dans la famille : Paris : Flammarion, 1900 : 16- R- 1500
Au
chevet des malades : Paris : Bibliothèque des conseils pratiques,
1901 : 8- TE18- 861
Les
Hochets féminins : les pierres précieuses, les bijoux,
la dentelle, la broderie, l'éventail, quelques autres superfluités
: Paris : Flammarion, 1902 : 8- V- 29686
Pour
augmenter son bien-être : Paris : Flammarion, 1906 : 8- S-
11082
Indications
pratiques pour réussir dans le monde, dans la la vie, : Paris
: Flammarion, 1907 : 8- R- 20514
Indications
pratiques pour obtenir un brevet de femme chic : Paris : Flammarion,
1908 : 8- R- 21226
Indications
pratiques concernant l'élégance du vêtement féminin
: Paris : Flammarion, 1908 : 8- V- 32367